L'USINE

L'usine avec un grand U comme Ubuesque. Il est déjà dans votre tête, ce monde qui fait résonner un univers fort dans l'inconscient collectif. Des images sombres et lumineuses à la fois tout comme froides et chaudes en même temps. Des odeurs qu’on imagine encore plus brutes que celles qui nous enivrent déjà quand on entre dans un garage. Des odeurs exotiques au sens premier, venu d’un recoin inconnu. Des sons plus pénibles que ceux produits par les marteau-piqueurs ou capables d’avoir une certaine forme de mélodie, comme si le Sound Design avait été fait par Kraftwerk. L’usine arrive à déborder vos sens. Puis elle réussit à vous blazer en un rien de temps. Enfin une fois que les acouphènes sont passés, sacré cerveau. Comment débuter cette étude zoologique? Je crois que la meilleure introduction possible au monde de l'usine est une gare de triage.
Cette vaste étendue de lames d'acier parallèles les unes aux autres et élancées sur des kilomètres semble être un préambule précis de ce qu'est l'usine. Les plus grosses d'entre elles ont leur propre gare de triage privé. Un petit groupe sélect d'usines suffisamment grosse pour gérer leur propre logistique d'expédition ou d'approvisionnement, en tout cas dans le passé.
La météo n’est jamais bonne quand on déambule le long de ses lignes. Un esprit curieux préfère sans doute être dans des lieux plus vivants quand il y a du soleil. Mais dans ce cas-là, quelle drôle d’idée de vouloir souligner cette ambiance morbide de rouille et de vide avec une météo grise et humide. Sans doute parce que cette ambiance crée du mystère et nous attire. Sur les rails on y voit rarement des wagons et ceux qu'on y aperçoit on ne les voient jamais arriver ou repartir. Comme si un enfant s'amusait à les placer au hasard de son imagination quand on a le dos tourné. Pour nous ils sont paisiblement là, à attendre sur les voies comme des vaches dans un champ. Ils sont tous tout rouillés et symétriques. On ne sait pas si ils viennent d'arriver ou si ils vont bouger. Si vous voyez une loco manœuvrer faites un vœu. Mais pour autant la taille du champ de wagon laisse transparaître l'immensité de l’Usine! Une zone gigantesque pour accueillir l'équivalent d'un mois, d'une semaine de production ou peut-être même d'une seule journée? Le silence s'impose dans ce lieu, d'ailleurs on ne s'attend à aucun bruit car c'est un lieu d'attente. Peut-être un grincement par ci par là, sans plus. Les miradors, démesurément hauts, veillent au calme et éclaireront le temps venu tout ce qui sera nécessaire d'éclairer. Tout y est précis. Mais de quel côté est l’Usine ?
Levez les yeux, suivez la cheminée. Au bout de la gare de triage toutes les voies convergent en une ou deux voies. Une sorte d'entonnoir à wagons. Le moment de rassembler ces émotions. Souvent, l'entrée par le rail de l'usine est fermée par un simple portail. Lui aussi rouillé. Au passage, tout ce qui peut rouiller rouillera, préparez-vous à ça. Un petit portail qui retient ces milliers de Wagons. Ils n'osent pas ouvrir le passage malgré leur imposante masse comme les vaches ont peur des enclos électrifiés. L'usine est en face.





















